Parlons-en (15) – La Belgique est ingouvernable : c’est une crise de régime
À l’issue des élections du 26 mai, la Belgique apparaît véritablement coupée en deux : en Flandre, N-VA et Belang s’octroient 43 des 87 sièges flamands que compte le parlement fédéral ; en Wallonie, la « gauche » – on ne discutera pas sur les termes – totalise 54% des suffrages. D’où l’extrême difficulté, pour ne pas dire la quasi-impossibilité, de former un éventuel gouvernement fédéral. Au-delà de ce constat, ce à quoi on assiste, c’est à une véritable crise de régime.
La crise vient de loin
Elle remonte à 2010, lorsque les deux grands vainqueurs des élections – la N-VA et le PS – n’arrivent pas à s’entendre sur le contenu d’une nouvelle réforme de l’État. Suit alors une longue période de négociation entre les trois familles traditionnelles (chrétienne, socialiste et libéral) qui durera 541 jours. Finalement, le 6 décembre 2011, le gouvernement Di Rupo se constitue, mais, notons-le, il ne dispose pas d’une majorité en Flandre.
Lors du scrutin du 25 mai 2014, le grand vainqueur est la N-VA avec 33% des suffrages flamands. Se forme alors la coalition dite « suédoise » groupant N-VA, CD&V, Open VLD et MR. Michel en devient le premier ministre. Elle très déséquilibrée sur un plan linguistique, parce que le MR compte à peine 30% des députés de Wallonie et de Bruxelles, alors que les partis flamands en comptabilisent près de 75% ! Résultat : ces partis flamands font jouer la loi du nombre et imposent quasiment leur programme pendant près de cinq ans, malgré le couac du pacte de Marrakech en décembre 2018.
La crise de régime, c’est cela : l’impossibilité de réunir une majorité dans chaque groupe linguistique et la difficulté croissante à former un gouvernement fédéral. Elle prend aujourd’hui une ampleur inédite consécutivement aux résultats observés le 26 mai, marqués par la forte poussée du Belang.
Un peu d’arithmétique électorale
Comme l’indique le graphique reproduit ci-dessous, ni la suédoise (25 + 12 + 12 + 14 = 63 sièges sur 150) ni la coalition traditionnelle à la « Di Rupo » (29 + 17 + 26 = 72 sièges) ne sont mathématiquement plus possibles.
Il reste alors deux possibilités et deux seulement. La première serait une alliance des trois familles traditionnelles et des verts – Ecolo et Groen –, qui disposeraient ensemble de 93 sièges sur 150. Dans ce cas de figure, la N-VA serait contournable. Il y a cependant un problème de taille, car la coalition en question représenterait une minorité en Flandre : 41 sièges seulement sur 87. Autant dire qu’un tel gouvernement se heurterait immédiatement à une forte opposition emmenée par la N-VA et le Vlaans Belang. Ses chances de naître un jour sont donc extrêmement réduites.
La deuxième possibilité est celle d’une « bourguignonne » associant la N-VA (le jaune), les socialistes (le rouge du PS et du SPA) et les libéraux (le bleu du MR et de l’Open VLD). Elle disposerait d’une majorité confortable tant à la chambre (95 sièges sur 150) qu’en Flandre (46 sièges sur 87).
Cependant, cela c’est l’arithmétique électorale. Politiquement, tout est beaucoup plus compliqué : d’une part, la N-VA avait annoncé avant les élections qu’elle ne voulait pas gouverner avec le PS ; d’autre part, ce dernier avait émis un « niet » à toute alliance avec la formation nationaliste flamande.
Crise de régime et crise du PS
Di Rupo avait imaginé, avant le 26 mai, qu’il pourrait se passer de la N-VA et reconduire une coalition des six partis traditionnels. Clairement, c’est loupé. Paradoxalement, la poussée du Vlaams Belang (VB) a rendu la N-VA incontournable. De plus, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cette poussée s’est faite aussi au détriment des trois partis traditionnels flamands. Un seul chiffre suffit à le montrer : la N-VA perd 8 sièges et le VB en gagne pas moins de 15.
Pour tout dire, le PS de Di Rupo et Magnette est parfaitement coincé :
– soit il entreprend de négocier avec les libéraux et les nationalistes flamands, mais il devra accepter la couleuvre du confédéralisme et renier sa promesse de ne pas s’allier avec la N-VA ; il paiera évidemment très cher, électoralement parlant, ce double reniement ;
– soit il se refuse à négocier la « bourguignonne » et c’est la crise de régime ouverte, massive et béante ; le parti « responsable » est forcé de constater que l’État belgo-flamand ne fonctionne plus ; le parlement fédéral sera probablement dissous et de nouvelles élections organisées ; sa stratégie politique est alors en échec complet, ce qui sera aussi très coûteux électoralement.
Dans l’intervalle, le couple Di Rupo-Magnette tente de différer au maximum le moment du choix. Mais le temps lui est compté. Pour des raisons qui seront développés plus tard, la crise actuelle ne pourra pas durer pendant 541 jours comme en 2010-2011…
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