Parlons-en (16) – Facebook et le LIBRA
Facebook vient de l’annoncer en grandes pompes. La société de Zuckerberg lancera une cryptomonnaie « virtuelle », nommée Libra, durant la première moitié de l’année 2020. Ce 18 juin, elle vient d’ailleurs de publier un livre blanc et d’ouvrir un site web (libra.org), sur lequel on peut lire en guise de publicité : « Réinventer la monnaie. Transformer l’économie globale. Ainsi partout les gens pourront vivre de meilleures existences ». Pas moins !
Qu’est-ce que le libra ?
En bref, il s’agit d’une cryptomonnaie, créée, utilisée et stockée sur un réseau informatique décentralisé et circulant de pair à pair (P2P ou si l’on préfère, d’égal à égal), donc sans intermédiaire bancaire ni carte de crédit. Elle est dite « crypto » parce qu’elle fait un large usage de la cryptographie, c’est-à-dire de cette discipline, essentiellement mathématique, qui permet d’assurer la confidentialité et l’intégrité des messages transmis.
La cryptomonnaie la plus connue est évidemment le Bitcoin. Celle-ci utilise un ensemble de procédures informatiques popularisées sous le nom de blockchain (chaîne de blocs en français) Le Bitcoin, outre sa grande volatilité, présente cependant plusieurs défauts : il n’a pas de valeur intrinsèque ; il consomme énormément d’électricité et de puissance de calcul ; il est sujet à des fraudes non négligeables. (Par exemple, en Belgique, l’Autorité des services et marchés financiers, la FSMA, a publié une liste de 113 sites web douteux utilisant cette cryptomonnaie et a évalué les pertes pour 2018 à 4,5 millions d’euros.)
Le Libra entend donc se distinguer du Bitcoin à trois points de vue au moins :
- Il s’appuiera sur un fond de réserve comprenant notamment des bons du Trésor et un panier de monnaies (dollar, euro, yen et livre sterling), qui lui conféreront une valeur intrinsèque ; le libra est en fait l’unité de compte ;
- Les transactions se réaliseront via des blockchains sécurisées – du moins c’est ce que Facebook affirme – et au code librement accessible (open source), permettant à chacun de lire, modifier ou redistribuer ce code et donc de créer un portefeuille numérique ;
- La monnaie sera gérée par une organisation à but non lucratif, indépendante de Facebook, située en Suisse (Tiens ! Tiens !) et nommée « Libra Association » ; ses acteurs, outre Facebook bien sûr, sont constitués notamment de 28 membres-fondateurs payants – au moins 10 millions de dollars – et ont pour nom : Visa, Mastercard, PayPal, Uber, Spotify, eBay, Iliad, etc.
Des risques majeurs ?
Pour planter le décor, il faut d’abord remarquer que potentiellement – on verra à l’usage ce qu’il en sera exactement –, Facebook et ses satellites tels que Instagram, WhatsApp et Messenger, peuvent espérer voir leurs 2,4 milliards d’utilisateurs adopter le Libra dans leurs transactions. Si c’était le cas, le réseau social deviendrait une des plus grosses entités financières au monde, ce qui, bénéfice non négligeable, assurerait aussi sa pérennité, ses clients étant financièrement captifs.
Certes, il ne faut pas nier que l’utilisation du Libra sur une large échelle facilitera grandement les transactions et abaissera leur coût. Pour autant les risques seraient aussi démultipliés, notamment du point de vue de la stabilité du système financier dans son ensemble.
Ainsi, la plus grande banque américaine – JPMorgan Chase – compte aujourd’hui 50 millions de clients numériques. Facebook et ses associés peuvent sans problèmes en réunir dix ou quinze fois plus. Les grandes banques, sans parler des plus petites, verront inévitablement nombre de leurs clients se tourner vers le Libra et retirer à tout le moins une part de leurs dépôts. Ces banques traditionnelles se trouveraient alors très vulnérables face à une panique causée par la fuite des dépôts et les interrogations sur leur solvabilité. Elles seraient aussi contraintes de réduire leurs crédits.
De plus, comme les libras seront acquis contre n’importe quelle devise, surgit la possibilité d’énormes flux de monnaie traversant les frontières, ce qui ne manquera pas d’affecter, notamment, la plupart des pays émergents sujets à des crises périodiques des balances de paiements.
Et l’Association Libra ?
On l’a précisé, elle est distincte de Facebook, mais le réseau social y jouera nécessairement un rôle primordial. Il a d’ailleurs déjà annoncé qu’elle avait créé une filiale, Calibra, prête à constituer des portefeuilles numériques pour ses clients et ceux de ses succursales Messenger, etc.
La véritable question est de savoir si l’association ne va pas se comporter comme une énorme banque, totalement dérégulée et soustraite aux contrôles des banques centrales et des gouvernements. Facebook affirme évidemment le contraire et jure, la main sur le cœur, qu’elle est animée de bons sentiments.
Attendons donc 2020, non sans suivre l’affaire de très près dans l’intervalle !
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