Parlons-en (22) – Il faut arrêter Moreau (I)
Stéphane Moreau était – et il l’est toujours jusqu’à nouvel ordre – le concepteur et le dirigeant de l’empire Publifin/Nethys. Il vient de démontrer ces jours-ci qu’il avait encore plus d’un tour dans son sac et que lui et ses hommes (ou femmes) de paille restaient les véritables patrons de la galaxie qu’il a progressivement mise sur pied, bien à l’écart des regards et du contrôle publics.
Le scandale Publifin
Tout commence le 20 décembre 2016, lorsque le Vif – sur base des informations données par Cédric Hallin, aujourd’hui bourgmestre d’Olne – révélait l’existence de trois comités de secteur, créés en juin 2013 par le CA de Publifin. Siégeaient dans ces comités 24 élus PS, CDH et MR qui ont ainsi touché de 1340 à 2871 euros brut par mois durant trois ans et demi, sans réelle contrepartie exigée de leur part. Il s’agissait en effet non de jetons de présence, mais bien d’une rémunération fixe versée mensuellement. Des emplois fictifs donc.
Rapidement, une Commission d’enquête du parlement wallon sera constituée qui rendra ses conclusions en juillet 2017. Parmi les recommandations émises, on retiendra notamment :
• « La commission d’enquête engage le gouvernement … à prendre toutes les mesures de tutelle requises » ;
• « … remonter les actions de RESA [le distributeur du gaz et de l’électricité] dans Publifin » ;
• « Permettre aux associés de reprendre le contrôle effectif et direct de NETHYS par la suppression de FINANPART » ;
• « Engager le Conseil d’administration de PUBLIFIN à renou-veler intégralement le Conseil d’administration de NETHYS [et ce dernier] à renouveler son Comité de direction ».
Une précision importante, le groupe Publifin/Nethys présentait une structure particulièrement opaque : entre Publifin, Société Coopérative Intercommunale à Responsabilité Limitée (SCIRL) et la Société Anonyme Nethys se glisse en effet un holding public, FINANPART, selon le schéma suivant :
Publifin –> Finanpart –> Nethys
Cet agencement tordu permettait à l’administrateur-délégué de Nethys, Stéphane Moreau, de faire à peu près ce que bon lui semblait. Pour le reste, ajoutons que la nébuleuse Nethys était organisée sur base de trois pôles : médias (Win, Vers l’avenir,), énergie (Elicio, Resa, …) et un pôle financier (Integrale, Aéroport de Liège/Bierset, …).
A noter aussi que les recommandations de la Commission avaient été adoptées à l’unanimité, donc autant par le PS que le CDH et le MR. Leur mise en œuvre effective sera très lente. Certes, Publifin sera rebaptisée Enodia ou RESA finira par dépendre exclusivement de cette dernière et plus de Finanpart. Au point que le 29 mars 2018, le Parlement wallon votera deux décrets dont l’un concernant la gouvernance au sein des structures publiques. Était prévue une diminution significative de la rémunération des administrateurs et cadres de ces diverses structures (intercommunales, invests, etc.). C’est à ce moment que le management de Nethys, en particulier son PDG Moreau, songe à scinder Nethys de manière à échapper aux conséquences du décret.
Scinder Enodia/Nethys
Le 26 mai 2018, des indiscrétions de la presse révèle que Nethys a l’intention de séparer ses activités concurrentielles de celles d’intérêt général. En bref (voyez la photo), NEWCO 1, soit Elicio, Win, Integrale, etc., ainsi que Voo, désormais appelée NEWCO 2, seront cédées majoritairement au secteur privé. Suit alors une longue période de silence, tout au long de laquelle, cependant, Moreau est à la manœuvre.
Le silence est rompu le 14 septembre 2019, quand le journal Le Soir révèle qu’un peu avant les élections du 26 mai, le 24 très exactement, Voo/NEWCO 2 avait été vendue à un fonds d’investissement américain dénommé Providence Equity Partners. (Ce nom vient du fait que le fonds a son siège social dans la ville de Providence située dans l’Etat américain de Rhode Island.) Il est spécialisé dans le « private equity », c’est-à-dire qu’il rachète des sociétés non cotées en bourse, tout spécialement dans les secteurs des medias, de la communication, de l’éducation (!) et de l’information. Ses engagements internationaux se montent à pas moins de 45 milliards de dollars. Voo était donc une proie rêvée pour Providence.
L’accord – qui doit être finalisé le 24 octobre de cette année – stipule cependant que Voo doit céder 50% de ses actions plus une au fonds américain. Mais il y a une condition mise à la conclusion de cet accord : les actionnaires bruxellois et wallons, les communes donc, du télédistributeur Brutélé doivent céder leurs parts dans Voo à Enodia/Publifin, faute de quoi Providence aura la possibilité, le 24 octobre, soit de dénoncer l’accord, soit de racheter la partie liégeoise à un prix très faible. Bref, l’opération pourrait bien s’avérer un véritable marché de dupes.
Une question surgit inévitablement : pourquoi l’accord a-t-il été tenu secret par Nethys pendant plus de trois mois après les élections ? La réponse est simple : l’administrateur-délégué Moreau ne tenait pas à ce que les communes actionnaires d’Enodia viennent fourrer leur nez dans « ses » affaires.
Et les communes ?
Les communes représentent – voyez la photo ci-jointe – 45,6% de l’actionnariat d’Enodia/Publifin. Elles ont été tenues à l’écart de toutes les négociations engagées par Nethys. Ce sont elles qui doivent maintenant se faire entendre. Encourageante à cet égard est la réaction de Cédric Hallin, qui fut le premier à dénoncer le scandale Publifin : « Nous n’avons actuellement aucune garantie que l’argent va remonter dans les caisses des communes ».
On ne saurait mieux dire !
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