Parlons-en (24) – Aux urnes citoyens

Il était une fois deux préformateurs, répondant aux doux noms de Bourgeois et Demotte. Le premier était un homme de la N-VA, le second un socialiste attitré. Leur royale mission ? Frayer la voie à un gouvernement associant PS et N-VA en y ajoutant les libéraux des deux bords linguistiques de même que le CD&V et le SPA flamands. Bref, la bourguignonne et ses couleurs jaune, rouge et bleue.

Drôle de lundi

Ce lundi 4 novembre donc nos deux préformateurs devaient faire rapport au roi. En principe, une formalité. En fait, la journée fut riche en rebondissements de tous ordres. Pour la facilité, on vous résume les principaux épisodes.

Les voici. 1. Les préformateurs après avoir été reçus par le roi font savoir qu’ils désirent être déchargés de leur mission. 2. Le palais communique alors que Philippe « tient sa décision en délibéré et entame des négociations ». 3. Les préformateurs annulent in extremis leur conférence de presse ; ils se taisent dans toutes les langues. 4. Dans la soirée, le roi reçoit le président du PS Paul Magnette, puis dans la foulée, celui de la N-VA, Bart De Wever. 5. En fin de journée, le palais annonce que le roi recevra le lendemain Sophie Wilmès – il n’y a pas encore de président au MR –, ainsi que les président(e)s de l’Open VLD et du SPA. Apparemment, le CD&V, tout occupé à se chercher un nouvel homme fort, compte actuellement pour du poivre et du sel.

Le fond de toutes ces péripéties de façade, c’est que ni le PS ni la N-VA ne veulent, pour le moment, cohabiter au sein d’un même gouvernement fédéral. Le premier a dit pis que pendre – à juste titre d’ailleurs – du gouvernement N-VA/MR pendant cinq longues années et une bonne partie de ses membres et électeurs verraient d’un très mauvais œil qu’il fasse de doux yeux à la formation nationaliste. À l’inverse, celle-ci, aiguillonnée par le Belang, grand vainqueur des élections, craint comme la peste de lier son sort aux socialistes. Le problème est que chacun tente et doit absolument faire porter le chapeau de l’échec à l’autre.

Résultat : Magnette déclare illico que « la N-VA revient avec des demandes institutionnelles, des demandes de réforme de l’État, et refuse de parler des questions sociales ». A quoi Ben Weyts, ministre flamand N-VA, rétorque que « nous sommes prêts à toutes les discussions aussi longtemps que les Flamands peuvent obtenir la politique pour laquelle ils ont voté, c’est-à-dire une approche économique de centre droit, soit via un gouvernement fédéral, soit via des avancées institutionnelles, de manière à ce que nous puissions décider seuls de ce qui doit être fait avec notre argent. Bref, le gouvernement centre-droit de la N-VA contre le gouvernement de centre gauche voulu par le PS.

L’impasse

En un mot comme en cent, c’est donc l’impasse, la crise politique, pire la crise de régime. Il n’y a pas trente six solutions pour en sortir, seulement deux et demie.

La première solution consisterait à tenter malgré tout la « bourguignonne », c’est-à-dire à réunir PS et N-VA en tant que socle d’un gouvernement fédéral. Le « compromis » à passer serait alors le suivant : au premier, je te donne du social (la pension minimale à 15 000 euros, la revalorisation des bas salaires, etc.) ; au second, je t’offre une politique migratoire plus restrictive et pourquoi pas ? une commission chargée d’étudier une nouvelle réforme de l’État pour 2024. En théorie, c’est réalisable ; en pratique, ce l’est beaucoup moins, parce que les oppositions entre les deux partis dominants demeurent, surtout si, comme c’est prévisible, la situation économique se dégrade et impose des choix plus tranchés sur les plans social et financier. 

Autre solution, l’arc-en-ciel, c’est-à-dire une coalition associant au fédéral les « rouges » (PS et SPA), les « verts » (Ecolo et Groen) et les bleus (MR et Open VLD). Cependant, un tel attelage ne disposerait que d’une voix de majorité à la Chambre et surtout, elle représenterait une minorité en Flandre. (Si le CD&V y était associé, la majorité serait plus confortable, mais cela ne changerait rien à son caractère minoritaire au Nord.) Dans ces cas de figure, l’opposition N-VA/Belang tirerait à boulets jaunes et noirs sur ce gouvernement minoritaire.

Plus important encore, la possibilité de constitution d’un arc-en-ciel est suspendue au bon vouloir de l’Open VLD et du CD&V. Or ces derniers, qui ont perdu les élections du 26 mai, affirment bien haut qu’il n’est pas question pour eux de se « déscotcher » de la N-VA. La formule n’est donc pas aisée à mettre en œuvre, même en négligeant les divergences programmatiques béantes entre les diverses composantes.

Reste alors la demi-solution d’un gouvernement fédéral de techniciens et d’experts. La proposition en a été faite par Joachim Coens, candidat à la présidence du CD&V : « Ça a assez duré. Si les partis politiques sont incapables de former un gouvernement, laissons cette tâche à d’autres, à des experts ». Comme en Italie, avec Monti, ajoute-t-il. En réalité, ce n’est pas une solution, simplement un ballon d’essai, parce qu’on ne voit pas comment un tel gouvernement « technique » pourrait aller chercher une majorité au Parlement.

Des élections anticipées

Morne plaine fédérale donc. Dans ces conditions, si aucune coalition ne peut se mettre en place dans des délais raisonnables, l’alternative sera de retourner aux urnes. Bien sûr, ces choses-là, on y pense dans les partis, mais on ne les dit pas.

Pourtant, des élections anticipées auraient le grand mérite de permettre aux citoyens de se prononcer clairement sur l’avenir de la Belgique fédérale, décidément de plus en plus ingouvernable. Wallonie Insoumise a déjà une réponse à proposer : celle d’un fédéralisme radical, par lequel la Wallonie disposerait de sa pleine souveraineté.

15 décembre, 2019

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